lundi 31 octobre 2011

Rhéologie, l’œuvre au noir de François Réau


Rhéologie : (du grec rheo, couler et logos, étude) est l'étude de la déformation et de l'écoulement de la matière sous l'effet d'une contrainte appliquée.

The river reflected whatever it chose of sky and bridge and burning tree and when the undergraduate had oared his boat through the reflections they closed again, completely, as if he had never been.[1]

Virginia Woolf, A Room of One’s Own, 1929


Les vocations tout comme les sources d’inspiration prennent souvent, et notamment chez les artistes, des chemins détournés et imprévisibles. Mais il arrive parfois que l’un d’eux, même s’il l’ignore lui-même, ouvre par quelques références biographiques qu’il pense anodines, ou à tout le moins de peu d’importance, une fenêtre éclairante à la compréhension de son œuvre. Ainsi, un spectateur pressé qui ne s’attarderait qu’un court instant sur les œuvres de François Réau pourrait n’y voir, bien à tort, que
les forfaits abstraits d’un grand enfant scribouillard. Mais que l’on prenne le temps de la contemplation, d’un certain lâcher prise dans l’espace du papier, son support de prédilection, et l’œuvre prendra alors toute son ampleur et tout son sens ; et tandis que l’enfant n’aura pas disparu de nos pensées (nous y reviendront), le scribouillard se sera évanoui pour toujours.

Que voyons-nous ? Au premier abord, une composition abstraite aux contrastes marqués entre les teintes les plus sombres et les teintes les plus claires où les noirs, les violets et les rouges foncés répondent aux blancs, aux jaunes et aux verts clairs. Pourtant rien n’est jamais tranché. Les compositions, si elles se répondent de façon chromatiques en jouant à l’envi sur les contrastes ne sont jamais données à voir au spectateur comme un simple jeu d’opposition. Mais c’est pourtant bien sur un jeu infini d’opposition que semble se construire l’œuvre toute entière. Ainsi, les parties noires, toujours présentes et points de focalisation premiers de la composition, tiennent selon les dires mêmes de l’artiste un rôle particulier, tout autant pictural que symbolique.

Car le noir pour François Réau ne définit pas l’absence d’un objet du présent mais atteste au contraire de la trace d’un objet passé et disparu. Le noir est chez lui le résidu d’un feu particulier survenu dans l’enfance, un feu sournois qui détruisit sa maison non dans un vaste brasier apocalyptique mais avec la lenteur chimique des gaz toxiques émergeant d’un réfrigérateur. Dans la maison, tout a fondu, tout est mêlé et irrémédiablement empoisonné sous une couche de noir. Il n’y a donc pas de parties saillantes dans les œuvres de François Réau, pas plus qu’il n’y eut de formes immédiatement identifiables au milieu des fumerolles de sa maison d’enfance.

Ainsi, une lecture nette des œuvres n’est jamais offerte : au contraire, elle se gagne au prix du regard. Comme l’artiste le dit lui-même, il développe ‘un style palimpseste fondé sur la trace laissée visible de la genèse du travail (repentirs, grattages, effacements, recouvrements...) et qui se construit par destructions et reconstructions successives’. Le spectateur est donc invité à une lecture de l’œuvre prenant en compte son état présent et définitif, mais aussi tout ce qui en a permis l’achèvement et qui est encore visible. A lui de décider ce qui reste de ce qui a été effacé, gratté, recouvert, de l’importance des repentirs mais aussi des accidents que le peintre a décidé d’embrasser ou de faire disparaître. A lui également d’accomplir La Traversée, installation de 2010 et double clin d’œil à l’enfance de l’artiste, à sa maison brûlée ainsi qu’à son grand-père bougnat, où le spectateur est invité à suivre, pour aller à la rencontre des œuvres, un chemin de charbon sur lequel semble flotter du bois séché.

Mais alors que le feu en tant qu’élément symbolique n’est pas toujours aisément identifiable dans les œuvres de François Réau, il en va tout autrement de l’élément aqueux qui semble traverser chaque œuvre. Les compositions se veulent abstraites il est vrai, mais de l’aveu même de l’artiste, il demeure toujours chez lui une volonté figurative minimale qui fait de son travail une œuvre à la croisée de deux mondes. Difficilement figuratives, mais jamais tout à fait abstraites, les compositions sont donc des univers paysagés, où une certaine forme de végétation se mêle à ses propres reflets, où des grattages crées soudain un bouquet de roseaux, et où un coup de pinceau fait jaillir d’une transparence une bande de terre brune ou des feuilles éparses s’agitant en plein courant d’air.

Quant au travail technique, il commence souvent par une empreinte sur le papier, suivi parfois d’une pliure par le milieu et dans le sens de la longueur, créant un motif de Rorschach, laissant libre court à l’association libre d’idées rendue beaucoup plus abstraites par l’inutilité de mettre quoi que ce soit en mots. De cette symétrie primordiale il ne reste souvent que matière à palimpseste ; un souvenir destiné à être déchiffré par qui veut bien s’y essayer.

Puis commence un long travail où se mêlent de nombreux medium ; huile, crayon, encre, acrylique… et l’effacement, le recouvrement, le grattage, le gommage… éternel recommencement. Le trait, s’il semble aléatoire, se veut précis dans sa réalisation, car il indique le chemin, la direction à prendre, même s’il est interrompu, brisé, effacé. Il créé une dynamique de lecture de l’œuvre, on suit une ligne (intentionnelle de la part de l’artiste) de son début à sa fin, jusqu’à ce que l’on en découvre une autre que l’on suivra à son tour. Ce jeu est sans fin et d’une couche de matière picturale à une autre les lectures s’enchevêtrent et ne sont jamais les mêmes. Au delà de la ligne le regard est pris par les rapports de masse, notamment les plus sombres, souvent cernées d’halos vaporeux et aqueux, pour ainsi dire amniotiques.

Car il s’agit bien là d’une naissance, d’un univers chaotique et primordial, d’une genèse, d’une nature en perpétuelle mutation où le passé ne veut pas se laisser effacer au profit du présent et lutte pour sa survie ; pour rester visible sous les strates quasi géologiques de la peinture. Ainsi comment ne pas voir, dans les fleurs explosives de Dandelion la série peut-être la plus figurative de l’artiste, la représentation de cet élan vital ? Comme ces pissenlits sur lesquels on souffle, l’œuvre de François Réau semble essaimer à chaque instant de petits morceaux de vie, elle nous donne aussi à voir entre le feu et l’eau, les éléments primordiaux d’une humanité en questionnement et en devenir.

JDM, Août 2011

Oeuvres de François Réau :

" Fragment ” - 2010.

Lithographie réhaussée sur papier BFK crème.

27 / 30 - Format Jésus : 56 × 72 cm


"Faint" - 2011

Huile, encaustique et crayon sur toile.

16 x 22 cm


" Dandelion pt2 ” - 2011.

Acrylique, pastel gras, crayon et encre sur papier.

30 x 40 cm.


Site de François Réau


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[1] La rivière reflétait tout ce qu’il lui plaisait de ciel et de pont et d’arbre brûlé, et quand l’étudiant avait ramé au travers des reflets, ils se fermaient à nouveau, complètement, comme s’ils n’avaient jamais été. Virginia Woolf, Une chambre à soi, 1929.


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