dimanche 30 octobre 2011

Sacerdoce, la peinture de Jérôme Delépine

Tel le fameux Philosophe en méditation de Rembrandt qu’il admire tant, Jérôme Delépine passe le plus clair de ses journées sous une large fenêtre qui baigne son atelier de lumière. La sienne, cependant, est percée dans le toit d’une grange qu’il a aménagée après l’avoir sauvée de la ruine. Et si l’escalier ne s’élève pas en spirale en prenant son élan au pied de l’âtre, la personne qui ravive ici la braise d’un feu sur le point de s’éteindre, c’est le peintre lui-même.

Ainsi on ne sera guère surpris de l’atmosphère qui règne dans l’atelier. L’artiste ne dit-il pas qu’il faut savoir se retirer du monde, s’abstraire de la cacophonie ambiante ? Qu’il a besoin d’un moment d’arrêt, un peu à l’écart, propice à l’introspection, pour pouvoir travailler ?

Pourtant on aurait tort d’imaginer Jérôme Delépine sous les traits austères d’un moine tout droit sorti du Nom de la Rose. Car si le lieu est quasi monacal, la peinture se fait en musique. “Elle accompagne et supporte mon travail de peintre, (…) [elle] me nourrit, compensant les livres que mes yeux malades ne m'ont pas toujours permis de lire... ” Ainsi, tel Don Quichotte, un personnage qu’il affectionne particulièrement et qu’il représente souvent, Delépine ose partir à l’aventure, et tenir tête à ceux qui lui disent que peindre, pour lui, n’est pas un choix possible. En se frottant tout à la fois à l’un des grands personnages de la littérature et à un grand sujet de peinture, il apporte avec une véritable modestie mais aussi avec caractère et personnalité sa pierre à l’édifice brillant commencé par Gustave Doré, Daumier, Picasso, Dalí, ou plus récemment par les incursions exhaustives de Garouste.

Il est d’ailleurs possible de lier le peintre Delépine au personnage canonique de l’ingénieux Hidalgo. Car ils sont peu nombreux, de nos jours, ceux qui osent se battre contre les moulins de la mode et du marché de l’art d’aujourd’hui, attaquant la peinture par une certaine idée du classicisme figuratif dont les archétypes sont, chez Delépine, l’usage intensif des glacis et du clair-obscur, tout en étant véritablement contemporains.

En effet, l’artiste est littéralement entré en peinture comme on entre en religion, à cette différence près qu’il se définit comme un mystique athée et que s’il aborde les sujets religieux il ne faut y voir qu’un moyen de se frotter, là encore à certains canons de la peinture classique. Pour paraphraser Stig Dagerman dont il cite souvent l’opuscule Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, Delépine traque la peinture comme le chasseur traque le gibier. Et il n’est nullement question pour lui de s’arrêter à ce qui ne serait qu’une peinture d’image, bêtement illustrative et dépourvue de fond. Au contraire, l’image n’est pour lui qu’un prétexte, certes nécessaire mais non suffisant, permettant de créer le lien entre le spectateur et la part plus mystérieuse mais cette fois indispensable que doit contenir toute peinture pour aspirer au statut d’œuvre d’art.

On s’étonnera donc moins que la peinture abstraite ne lui soit pas étrangère et que s’il admire la figuration sauvage d’un Eugène Leroy passé maître de l’empâtement, il admire tout autant les jus lisses et lyriques d’un Olivier Debré délivré de tout rapport à la figure. Ainsi, lorsque Delépine représente le visage humain, un arbre, ou Don Quichotte chevauchant Rossinante, il souhaite évidemment nous faire éprouver bien autre chose qu’une assentiment lié à la conformité ressentie entre la réalité telle que nous la percevons et une toile qui n’en serait qu’une simple paraphrase. Via sa peinture, Delépine cherche donc à faire passer une sensation qui transformera l’espace inanimé de la toile en son exact contraire, un espace animé au sens propre du mot, c’est à dire doté d’une âme et capable de susciter une émotion profonde.

De cette émotion profonde, de son origine, de ses implications symboliques, voire métaphysiques, on ne parlera pas ici. Car comment pourrions-nous, par une description fusse-t-elle minimale des choses intimes et complexes ressenties devant une œuvre, tendre à l’universel sans évoquer les affres de son histoire personnelle ? Ici chacun a raison, et si l’émotion de l’un vaut bien celle de l’autre, alors il n’appartient à personne d’en juger.

Mais quelles que soient finalement leurs natures, les sentiments que cherche à provoquer Delépine naissent d’abord et avant tout du désir d’insuffler la vie dans son œuvre sans se soumettre à un quelconque calcul. Comme l’a si bien dit Dagerman : “ la vie n’est pas un problème qui peut être résolu en divisant la lumière par l’obscurité. ” Le peintre tente donc chaque jour sa chance devant la toile, allant et venant, espérant et doutant, s’étonnant aussi de ce que presque rien puisse aboutir à presque tout. N’est-ce pas là, en effet, tout l’attrait du clair-obscur ? De l’effet de flou tant prisé par Delépine ? Des contrastes éloquents et pourtant si tempérés par la transparence des glacis avec lesquelles il ne cesse de jouer ?

Peut-être. Mais l’artiste, fidèle a lui-même, sait bien que la technique n’est pas tout, loin de là, et que pour arriver à la peinture il ne suffit pas, comme disait Bacon, de colorer des surfaces.

A un ami qui lui demandait ce qu’était l’art, Jérôme Delépine avait répondu : “ L’art, c’est le doute. ” Tenons le donc à ce dernier mot définitif qui pourrait tout aussi bien définir l’ensemble des rapports que l’humanité entretient non seulement avec elle-même mais surtout avec les grandes questions qui l’assaillent depuis toujours. Face aux interrogations que représentent la nature de l’Homme ou le sens de sa vie, l’œuvre de Delépine apporte une réponse toute en retenue : doutons de tout si nous le voulons, mais pas de nos émotions. De l’art comme une respiration lumineuse entre une nuit et une nuit.

Le site de Jérôme Delépine

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